Architecture de paysage

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Les îles de la plaine

Grand territoire

Projet réalisé par

Estelle Benoit

Le projet "les îles dans la plaine" est un projet de marche libre dans l'espace rural. J’ai choisi d’approfondir le thème de la marche car elle est le lien sensible de l’homme à son territoire et permet de donner une signification à l’espace traversé. Ainsi, lorsque je suis arrivée au Québec depuis la France il y a trois ans, c’est à travers les voyages, et en marchant, que je suis partie à la découverte des grandes plaines cultivées du Bas-Saint-Laurent. Au fil de mes promenades, un constat s’est imposé: il est difficile de se déplacer librement dans le paysage rural souvent privé et inaccessible. De là s’est développée l’idée de se déplacer librement entre des points d’appels. Ces points comme un ancrage dans le paysage invitent le promeneur et proposent une direction. Entre ces points, un espace de cheminement libre redonne l’accès à un espace souvent privatisé. C’est un « entre-deux », qui rend possible l’exploration et amène le promeneur à interpréter, découvrir et s’approprier les lieux. Le projet se situe dans la plaine du Kamouraska où de petites collines se déploient dans la plaine comme des points d’appel à relier. C’est à travers la marche, au fil de récits de voyage que se présente ce projet « les îles dans la plaine ». Il s’amorce à travers un imaginaire, celui du voyage d’un explorateur dans les îles de la plaine. Les îles dans la plaine sont une métaphore entre le fleuve Saint-Laurent et l’archipel de Kamouraska et entre la plaine agricole et ses cabourons qui s’inspire du lien très fort qui existe entre les îles et les cabourons. Un lien qui nous permet à la fois de comprendre les dynamiques du site, l’enchainement de ses paysages et la nature de ses paysages. C’est à travers cette narration que se rattachent les différents éléments de projet qui rendent cette marche possible.

L'ETE AU KAMOURASKA

Un fleuve et son littoral, des îles, des collines en face des îles, une plaine agricole: cette image convoque les paysages marquants de la plaine dans le Kamouraska. Les parcelles qui délimitent les champs cultivés, les filets de pêche à l’anguille, les villages le long du littoral et à la limite du piedmont. Ces éléments s’ajoutent aux premiers et nous racontent comment les hommes ont choisi d’occuper ces paysages. En entrant dans le Kamouraska, ce qui frappe ce sont les collines qui émergent dans le paysage. Visibles depuis l’autoroute A20 ou depuis la 132, elles nous font entrer dans ce territoire avant même d’en passer les frontières. Leur silhouette se signale par leur hauteur et leur forme allongée sur l’étendue plane du territoire. Ces collines, localement appelées cabourons se déclinent du littoral jusqu’au piedmont. Par leur singularité et leur omniprésence, elles constituent l’identité visuelle de la région et accompagnent notre entrée dans la plaine, jusqu’au village de Kamouraska. Le village situé sur un cran rocheux est à la jonction entre le littoral et la plaine agricole. En été, dans le Kamouraska comme deux mondes qui se côtoient, les touristes et les promeneurs profitent des rives tandis que les agriculteurs travaillent les champs de la plaine.

L'HIVER AU KAMOURASKA

Cette excursion commence mi-février. C’est l’hiver au Kamouraska. Le paysage découvre un nouveau visage. Ici, les températures moyennes varient entre -5° et -20° et la neige recouvre tout. La plaine autrement colorée semble aujourd’hui une image en noir et blanc comme une grande marée blanche parfois ponctuée de taches sombres qui ressortent ici et là : les cabourons. Le littoral aussi a changé de visage. L’épaisse couche de gel sur Saint-Laurent a remplacé le mouvement de l’eau. Seuls les craquelures sur le fleuve emprisonné rappellent l’activité des marées en dessous. Les îles, au loin, prises dans cet étau de glace semblent figées, inaccessibles. On les regarde depuis les rives. Tout de suite, la réalité de l’hiver s’impose. Une nouvelle saison qui présuppose de nouvelles règles et c’est dans une organisation différente de celle de l’été que s’entreprend cette aventure. Suite à cette marche il m’apparaît que l’unité de la plaine en hiver, son accessibilité et ses paysages contrastés offrent une expérience d’immersion et d’expédition, d’isolation et de découverte. Ainsi, les conditions hivernales facilitent l’accès à l’espace agricole, très privatisé et actif le reste de l’année, et permet une immersion dans un espace dont on est habituellement en marge. Également, l’hiver, en transformant les paysages, propose une expérience de marche libre. Là où l’été, le long des rangs agricoles, tout semble organisé, structuré, cloisonné, l’hiver le territoire se libère. Ici, le couvert neigeux efface les traces de l’occupation du sol et efface le balisage des sentiers sur les cabourons. Je constate que lors de ma visite d’été, à la fois parce que les cultures de maïs bloquaient les perspectives et que les tons verts prédominaient dans la plaine, les cabourons forestiers se fondaient davantage dans le paysage. En revanche l’hiver offre à la plaine des couleurs plus contrastées et renforce ces collines comme point de repère. Ainsi, la plaine en hiver devient l’opportunité de cheminer librement entre les cabourons, tels des points d’appels à rallier. Le tout à travers une expérience de marche qui débalise le paysage et désoriente le promeneur pour lui offrir une multitude de choix dans son parcours.

LA CARTE IMAGINAIRE- Donner envie-Communiquer et révéler

Dans un premier temps il s’agit de communiquer le projet de marche libre, de faire connaître son existence. Ainsi, la carte imaginaire permet de communiquer le projet. Cette carte a pour but de donner envie de marcher dans la plaine et d’interpeler, d’intriguer, de piquer la curiosité du voyageur. À partir du thème des îles dans la plaine, elle propose un voyage d’exploration dans la mer de Kamouraska. Cette carte imaginaire nous parle des îles dans la Mer de la plaine. Comme une métaphore, sur cette carte imaginée, les iles représentent les cabourons et la Mer de la plaine représente la plaine de Kamouraska recouverte par la neige. Sur la carte, les iles sont représentées dans une perspective en hauteur dans laquelle leur relief est mis en évidence. Le point de vue choisi, depuis l’intérieur de la plaine, permet de faire figurer touteTandis qu’il sonde la carte, le voyageur intrigué s’aperçoit que les appellations des îles ne sont pas toutes les mêmes. Il peut y distinguer les « îles-montagnes », « les îles » et les « îlots ». Ainsi, au milieu des îles-montagnes nommées, sur nombre de petites îles on peut lire « île inconnue ». Il s’interroge : est-ce des îles non explorées? La carte, vient ainsi créer une énigme autour de ces îles et inviter le voyageur à les marcher, à les explorer et, à long terme. à les nommer pour ainsi se les approprier. Le voyageur, avant de quitter l’endroit, prend soin de demander un directement au comptoir. Dans ce cas, il obtiendra une carte pliable qu’il peut glisser dans la poche de sa veste. Cette carte recto verso, représente, d’un côté, la carte imaginaire et, de l’autre, la carte de navigation. Elle est également disponible au dépanneur de Saint-Pascal ou à la Fée Gourmande à Kamouraska. s les îles existantes, même celles qu’il ne connaît pas.

LA CARTE DE NAVIGATION

Dans un second temps, il faut organiser le projet mais de manière simple afin de profiter pleinement de l’expérience de marche libre dans le Kamouraska. Ainsi, une carte de terrain pensée à l’image des cartes maritimes accompagne la carte imaginaire et permet au marcheur de naviguer à travers la plaine. Les interventions de projets réalisées sur le site y sont présentées afin d’indiquer les réalités géographiques du territoire qui peuvent limiter la marche libre. La carte de navigation est avant tout une carte de terrain qui rassemble les seules informations nécessaires pour naviguer dans cette plaine. Il est donc indiqué tout d’abord que des jumelles ainsi qu’une boussole pour naviguer sont conseillés. La boussole vient en effet compléter le quadrillage en arrière plan de la carte. Ce quadrillage donne une échelle de temps au voyageur. Reprenant les codes d’une carte maritime les iles y sont représentées en plan avec leur relief et sont les Amers de cette carte. Les points de départ sont symbolisés par des quais et renseignent sur les spécificités de chaque place. On peut donc choisir de débuter l’aventure au port de pêche situé à proximité du littoral (village de Kamouraska), au port de ravitaillement qui approvisionnent les voyageurs même en hiver (village de Saint-Pascal) et enfin le port de production de houblon (brasserie A la Tête d’Allumette) qui à l’image d’une taverne rassemble voyageurs et habitants. Elle répertorie aussi la signalétique du projet tels les points d’abris représentés par les cabanes de pêche, les petit détroits (ponceaux agricoles) à franchir signalés par les ESPARS. Dans la logique de l’imaginaire de ce projet où les cabourons sont des îles et la plaine la mer, les éléments d’eau et de terres sont inversés dans la carte. Ainsi, les ponts pour traverser les fossés deviennent des détroits.

LE RECIT DU VOYAGEUR

Imaginons qu’un marcheur découvre le projet et s’aventure dans la plaine pour une journée de marche, voilà ce qu’il se passerait… Le lendemain, à l’entrée de la plaine, en ce début de matinée, le soleil tout juste levé, c’est dans le froid de l’hiver que le promeneur s’équipe pour la randonnée et chausse ses raquettes. Derrière le musée d’art contemporain de Kamouraska, il accède directement à la Mer de la Plaine et prend le large en direction de l’île-Montagne du Cap Arrivent les premières entraves à la libre-navigation. Une petite pente soudaine et peu large laisse deviner un fossé agricole. Pour identifier l’emplacement de l’obstacle (ou ponceau agricole) qui permettra de continuer la traversée, le voyageur sort de la poche de sa veste sa carte à double face. Choisissant la carte de navigation, il lui apparaît que les points de franchissement sont annoncés par des piquets noirs plantés dans la neige qui rappellent les ESPARS, les piquets utilisés en mer pour la signalisation maritime. Contrairement au monde maritime qui utilise les couleurs vives, ici les ESPARS sont noirs. Cette couleur contrastée ressort dans la mer blanche, sans s’imposer dans la plaine où seuls les cabourons attirent l’attention. Plus discrets, les ESPARS se repèrent lorsque l’on est plus près. Il faudra finalement au navigateur près d’une heure pour réaliser la traversée jusqu’à son île inconnue. Et tandis qu’il s’approche, le vent glisse dans son dos et accélère ses pas, mais l’île sauvage semble refuser l’accès au visiteur. Le voyageur découvre que les îles forestières sont plus ardues à aborder que les îles-montagnes. Alors qu’il s’enfonce dans les buissons jusqu’à mi-taille, et qu’il chemine difficilement sans prendre de hauteur, le navigateur saisit que l’expérience de cette île sera différente de celle de l’île-montagne du Cap. Ici, pas de point de vue, au contraire les arbres bruns semblent l’engloutir tandis qu’il plonge dans la pénombre de l’île. C’est fatigué et tout écorché par les branches qu’il ressort enfin de l’autre versant de l’île. Le vent fraichit. « Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles. » Voilà maintenant plusieurs heures que le voyageur louvoie dans cette plaine. Ses pas sont pesants et il lui semble que ses raquettes s’enfoncent plus profondément dans la neige pendant qu’il avance lentement sur l’étendue blanche. Le vent plutôt bon compagnon de voyage lui fouette maintenant le visage et une tempête insupportable se lève. D’un coup, tout est blanc, il est difficile d’avancer à découvert. Il faut trouver un abri. Les abris disposées le long des rangs agricoles permettent aux explorateurs de la plaine de se protéger et prendre un peu de repos. Localisées sur la carte de navigation il est possible de s’y rendre en s’aidant de la boussole mais on peut aussi les identifier dans cette brume de neige par leurs couleurs vives. Ces cabanes, inspirées des cabanes de pêche sur glace sont mobiles. Kamouraska. Sur la route qui le ramène à la brasserie, à travers les vitres de l’auto, la silhouette des îles-montagnes se découpe dans le demi-soleil de plaine. Il fait presque nuit et la plaine est maintenant grise. Tandis qu’il roule sur la 132, les iles disparaissent de la vue, cachées derrière les plus hautes. Pour les retrouver, il faudra revenir un autre jour, ou l’infini des parcours proposera une autre expérience dans un autre archipel. Plus tard ce soir, installé de nouveau à une petite table à la Tête d’allumette, il sort sa carte imaginaire des îles dans la plaine et rature l’une des appellations « ile inconnue » qu’il remplace par son propre nom, l’image qu’il s’est façonnée de cette île.