Architecture

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L’autoroute dans ma cour !

Construire et habiter la ville à la frange de l’inhospitalier

Projet réalisé par

Gabriel Tessier

Comment se protéger de l’autoroute? Si cette question à saveur rhétorique se pose plutôt comme un commentaire sur la ville d’aujourd’hui, elle devra forcément trouver écho dans l’hypothétique mais non moins réaliste scénario du Montréal hyperdense de demain. Car ici réside le paradoxe: la ville contemporaine est planifiée par ses liens, par ses infrastructures de déplacement. Il s’agit là du fardeau hérité de l’échec du projet moderne en urbanisme et en architecture; l’autoroute traverse une ville qui ne veut plus d’elle, mais qui lui est indispensable malgré tout. *** On aura essayé de lui tourner le dos, de l’enjoliver, de la recouvrir, voire même de la démolir, en vain. Or, cette propension à cacher l’hostile ferme la porte à un monde de potentialités; n’y a-t-il pas quelque chose de fondamentalement humain dans le désir d’habiter l’inhospitalier? Et si un renversement de situation rendait acceptables les conditions a priori négatives de l’autoroute? Celle-ci jouerait alors un rôle actif au sein du projet urbain et deviendrait un véritable lieu, une destination, plutôt qu’un simple vecteur de déplacement. *** L’autoroute Ville-Marie fait ici office de sujet d’étude, à l’endroit où la tranchée remonte au rez de la chaussée, vers le pont Jacques-Cartier. La méthode: traiter l’autoroute comme un lieu, structurer son territoire par un front bâti en se réappropriant les îlots cinétiques, ces résidus du découpage de la ville par l’ingénierie du tracé autoroutier. *** À la fois qualifiable d’urbain, de paysager et d’architectural, le projet de super îlot cinétique tire donc profit du caractère inhospitalier de l’autoroute pour offrir une expérience urbaine inédite à ses usagers. La ville ne tourne plus le dos à l’autoroute, et permet même à cette dernière de la traverser littéralement, au point fort d’une valse entre brutalité et fragilité. *** Le nœud de circulation que représente le contexte à cet endroit précis se voit ainsi exacerbé par une densité programmatique. Réinterprétée dans un vaste jardin autour duquel s’articulent 500 unités de logements agréables, l’autoroute ne constitue plus un obstacle à la qualité de vie; on entend même certains résidents s’exclamer fièrement: « l’autoroute dans ma cour » !

La grande réconciliation

Cette conciliation entre les deux systèmes opposés que sont la ville et l’autoroute s’incarne dans le projet architectural, qui joue un rôle de médiation en s’articulant le long de la frange autoroutière. Mouvement rapide et mouvement lent; ce rapport de force se traduit dans les différentes échelles du projet par une architecture à l’échelle de l’automobile autant que du piéton.

Le super îlot cinétique

Le projet consiste donc en un super îlot cinétique, en symbiose avec l’autoroute dont il se réapproprie les contraintes pour en faire sa logique interne. Reprenant la forme urbaine d’un îlot dont la superficie aurait été multipliée par cinq, l’extérieur du projet négocie avec la ville et l’autoroute, permettant à un univers complètement différent de se dessiner à l’intérieur.

La mise en scène de l’inhospitalier

Au-dessus des deux étages du socle public se déploient six étages d’habitation, contenus dans un long bandeau aérien dont les courbes filigranes épousent celles de l’autoroute. Ce dialogue entre architecture et mouvement automobile atteint son apogée dans un porte-à-faux héroïque dressé vers l’ouest, en projection au-dessus de l’autoroute Ville-Marie. Telle une figure de proue, cette pointe redonnée à l’espace public permet de se détacher du contexte pour contempler le spectacle poétique du ballet incessant des phares rouges et blancs.

Le magnifique jardin

Le véritable intérêt du super îlot cinétique réside cependant en son coeur, dont le sol artificiel fait office de toiture au socle public. L’autoroute se fait jardin, la cour proposant une réinterprétation à l’échelle humaine des différentes unités de paysage caractéristiques du territoire autoroutier. Les résidents peuvent ainsi profiter d’un immense jardin intérieur, d’une oasis de paix au sein d’un environnement chaotique, compensant radicalement les conditions difficiles d’une cohabitation avec l’autoroute.

Le logement agréable

Aux niveaux supérieurs, les coursives faisant face à l’autoroute se replient progressivement vers l’intérieur du super îlot cinétique; cette inversion avant/arrière des logements constitue une réponse directe à la condition changeante de l’autoroute, qui s’adoucit pour devenir boulevard urbain. Ce changement est d’ailleurs accompagné d’une transition typologique du projet; l’unité d’habitation passe de logement filtrant à logement traversant, et de logement locatif à copropriété.