Dans une époque et une société en changements perpétuels et en véritable hybridation, les modes de vie ne font que se transformer et évoluer. L’ère du numérique et du virtuel isole toujours plus les individus, les exigences liées à la productivité et la vitesse toujours plus pressantes touchent toutes les sphères de vie. Les modes de travailler ne font pas exception et sont particulièrement touchés et modulés par ces enjeux : on travaille désormais n’importe où, n’importe quand, et lorsqu’on travaille, on fait également autre chose. Le lieu de travail – au sens d’endroit physique – se fait ainsi pluriel, ses limites sont moins définies, une hybridation voit le jour, à l’image de la société. Toutefois, les tours à bureaux comme les environnements de travail, lieux spécifiquement dédiés à cette activité et fréquentés de manière prolongée, sont encore majoritairement marqués par leur fonction unique, leur dissociation de la communauté et leur caractère hermétique, apparaissant en contradiction avec les besoins et enjeux actuels. Ainsi, il est pertinent de se questionner sur ce type d’environnements et leur adéquation avec les nouveaux modes de vie et de travailler, avec la société contemporaine et les besoins individuels. Avec ce projet, il s’agit, par une hybridation, de repenser l’environnement de travail, qualifié par Oldenburg (1989) de second lieu – dédié à la productivité – comme un tiers lieu – dédié à la sociabilisation : les interactions entre usagers y sont favorisées, les limites entre public et privé flouées, la communauté y est célébrée. Le projet particulier développé s’articule autour d’un programme riche, intégrant deux entreprises différentes, des espaces de coworking, un studio photographique, un café, et une « ruelle », extension intérieure de l’espace public, dédiée à l’exposition photographique. La posture de conception privilégiée ici est la narrativité, en lien notamment à Architecture et Narrativité de Ricoeur (1998), jouant sur le parallèle du récit et de l’architecture. Ainsi, le projet apparaît comme un tiers lieu favorisant la sociabilisation, ayant comme vocation de mettre en valeur et de célébrer la diversité, la nuance et la pluralité, en réponse au modèle unique promu et établi par les normes sociétales. Produire un environnement inclusif, favorisant le bien-être de ses usagers en leur procurant une expérience sensible unique : voici le dessein de TIERS.
« Topologiquement et symboliquement, la tour et ses occupants ne sont plus dans la cité, ils la surplombent, la dominent... » (D’Iribarne, 2012)
L'espace de travail se fait pluriel, la perméabilité devient un enjeu contemporain. Cela rejoint le concept de tiers lieu d'Oldenburg (1989). Ainsi, l'espace de travail, le second lieu, par une opération d'hybridation, devient un tiers lieu. Le tiers lieu, « inclusivement sociable et convivial, offrant à la fois un support à la communauté et son exercice, et la célébration de celle-ci » (Oldenburg, 1989)
Dans Architecture et Narrativité (1998), Paul Ricoeur établit une analogie entre le récit et l'architecture, « […] en ceci que l’architecture serait à l’espace ce que le récit est au temps, à savoir une opération ‘’configurante’’ ; un parallélisme entre d’une part construire, donc édifier dans l’espace, et d’autre part raconter, mettre en intrigue dans le temps. ». Il détaille cette analogie en une séquence d'opérations, applicables tant au récit qu'à l'architecture. Les notions de continuité de l'histoire en dépit des discontinuités que constituent les éléments perturbateurs ont été traduites dans l'espace du projet : la "ruelle" continuité de l'espace public, ponctuée de "fractures", volumes perturbateurs offrant des expériences particulières aux usagers.
« Habiter est fait de rythmes, d’arrêts et de mouvements, de fixation et de déplacements. Le lieu n’est pas seulement le creux où se fixer, comme le définissait Aristote (la surface intérieure de l’enveloppe), mais aussi l’intervalle à parcourir. La ville est la première enveloppe de cette dialectique de l’abri et du déplacement. » (Ricoeur, 1998)
De façon habituelle, les œuvres photographiques sont exposées de façon dissociée de l'architecture, des cadres placés sur des murs. Le projet, sous le thème de la diversité, propose de voir autrement l'exposition photographique, en jouant et nuançant les supports, en travaillant l'architecture comme un soutien, une toile d'accrochage pour les œuvres. Celles-ci ne se donnent pas à la vue de manière directe : supports transparents, translucides, miroir, recouverts de métal perforé... Les usagers participent et sont acteurs de leur propre expérience, par leur mouvement et la construction qu'ils font des images présentées.