Je ne suis pas vouée à devenir urbaniste. Ou du moins, pas dans le sens de « technicien spécialisé dans l'aménagement et l’ordonnancement des villes » (définition Larousse). Les règlements m’ennuient et je ressens une certaine hostilité à l’égard des plans directeurs.
C’est la dimension non spécialiste de l’urbanisme qui me passionne : la fabrique des lieux ordinaires par les gens ordinaires, par la pratique et le mouvement plutôt que par la planification échelonnée dans le temps et l’atteinte de résultats. Je prends plaisir à percevoir les innombrables gestes urbains qui illuminent les lieux par leur simplicité et leur sincérité.
Adhérer à l’urbanisme tactique est la chose du monde la plus facile à faire, j’en ai fait l’expérience. Tout le monde est unanime : c’est une approche nouvelle et alternative pour fabriquer l’espace. Mais un consensus d’une telle ampleur peut être le signe d’un conflit caché. Ici, c’est le conflit sur la définition même du mouvement : la prédominance de la définition urbanistique masque l’existence antérieure d’une définition plus politique. La critique des dérives de l’urbanisme tactique vise à arracher l’habit révolutionnaire du mouvement, et à désillusionner certains de ses partisans pleins de bonnes intentions.
La critique la plus difficilement réfutable est sans doute l’institutionnalisation du mouvement, qui déforme subrepticement le concept en en évacuant tout le potentiel subversif. De plus en plus récupéré par des élus et des professionnels, l’urbanisme tactique devient de moins en moins une pratique sociale et, plus souvent, une sorte d’injonction à la participation des habitants dans le processus de fabrique de l’espace.
Sur le terrain, cette critique se retrouve de façon plus ou moins évidente. La signature d’un accord de cogestion d’un terrain entre un arrondissement et une association citoyenne est une forme assez légère d’ingérence institutionnelle ; celle-ci est beaucoup plus explicite lorsqu’un arrondissement prend l’initiative de créer des placettes pour l’agrément des habitants de son quartier. Dès lors, il est difficile d’associer ces actions à une démarche d’urbanisme « tactique », d’autant plus que l’objectif est de créer de nouveaux espaces publiques pérennes. La « tactique » au contraire est nécessairement éphémère.